Squat avec une hernie discale : toutes les opinions ne se valent pas

Avant que vous lisiez le prochain paragraphe j’aimerais que vous soyez rassuré. Les propos qui suivent sont alarmistes et plutôt illogiques. Si vous ne savez pas ou pas bien ce qu’est une hernie discale, cet article pourra vous intéresser : Les disques, les hernies discales et les douleurs (axomove.com)

Un body-builder retraité suivi par 160k comptes sur instagram et plus de 600k sur YouTube déclarait il y a peu que le squat (avec la barre) détruisait le dos et aggravait les hernies discales, voire même pouvait les déclencher sans qu’on s’en rende compte. Il ajoutait que le seul exercice qu’on pouvait faire pour continuer à entraîner les jambes dans le cas de hernie discale était la presse.

C’est naturellement qu’un kinésithérapeute-ostéopathe lui a répondu :

La réfutation : on peut faire même avec une hernie discale

Son propos est simple. Les hernies discales ne sont pas forcément douloureuses. On peut quand même faire du squat même si on a des douleurs légères et ça peut même être une très bonne solution. Il précise quand même que certains symptômes peuvent indiquer que ce n’est pas une bonne idée sur le moment.

En clair, pour lui, le fait d’avoir une hernie discale symptomatique ou non n’est pas une contre-indication absolue au squat chargé.

En parallèle, Pierre-Élie Bernard, par le biais de son compte Chroniques de la douleur publiait une réaction sans concertation.

Sa vidéo a une particularité par rapport aux deux autres. Il l’a sourcée : il présente des références scientifiques qui répondent plus ou moins aux interrogations. Pourquoi « plus ou moins » ? Parce que aucune étude n’a été présentée où on prend des gens ayant des hernies discales et à qui on fait soulever du poids en squat. Il y a des données sur la diffusion de l’eau dans les disques sains, des données de recherche animale sur la réaction des disques à la charge, des données sur les douleurs lombaires qui s’améliorent en faisant du powerlifting…

Les réponses

Cela aurait pu s’arrêter là. Une personne dont ce n’est pas le métier fait une affirmation. Des professionnels compétents la reprennent en apportant des informations supplémentaires. Sauf que non ! Non seulement, il n’y a pas remise en question, mais en plus il dénigre Hemtonkiné en le traitant de clown et parle de lui mettre des claques. Et il s’enfonce encore plus loin. Je vous laisse lire ce qu’il a répondu à mon commentaire :

Les commentaires intercalaires d’autres personnes ont été retirés

Pourquoi vous montrer cela ? Malheureusement ce genre de violence est tout à fait ordinaire pour un commentaire critique qui essaye d’apporter des informations nouvelles, ce n’est donc pas le sujet. Le but n’est pas d’attirer votre attention dessus mais plutôt sur la manière dont les personnes gèrent leurs connaissances. Ce n’est pas spécifique au sujet de la hernie discale.

Cela a fait réagir, chez les kinés, chez les coachs, chez les ostéos si vous voulez voilà 2 vidéos qui reviennent sur l’évènement : Ici et .

Recentrons le problème

Ici l’agressivité excessive est probablement une manière de protéger non seulement sa réputation en ligne, mais aussi son propre inconfort de devoir changer tout un pan de ses conseils. Parce que oui, les conseils pour la hernie discale, il en fait un « commerce ». Il en fait un argument de vente de coaching et ses vidéos YouTube sont monétisées. Perdre des vidéos avec des centaines de milliers de vue ça ne donne pas forcément envie mais encore moins de réfléchir, se remettre en question et devoir faire un changement dans ses communications. Il y a peut-être dissonance cognitive.

La personne n’étant pas ouvert à la discussion et agressive, je l’ai bloquée et j’aurais eu envie de m’arrêter là. Mais voilà que quelque chose m’interpelle.

Pourquoi un débat ?

Des gens qui annoncent des bêtises sur la santé, il y en a bien plus que de personnes compétentes pour les reprendre. Des gens qui suivent une personnalité forte aveuglément qui les guide comme un gourou, ça aussi on le sait. C’était donc évident qu’il allait avoir des « supporters ». Mais ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est que des personnes demandent l’opinion publique sur le sujet et de choisir un camp.

Donc déjà, clarifions un point. Que se passe-t-il quand des gens ont des douleurs dans le dos « chroniques » et une hernie discale se mettent à faire des squats en charge ? De manière générale, leurs douleurs et qualité de vie s’améliorent.

woman lifting barbell
Squat en charge/Photo by Li Sun on Pexels.com

C’est en tout cas ce qui a été repéré dans une étude de cohorte prospective1. Les chercheurs ont sélectionné 30 personnes souffrant de lombalgies et qui avaient en tout 44 « hernies » discales, dont 11 qui irritaient mécaniquement les nerfs. Ils leur ont fait faire pendant 4 mois un programme incluant des squats et des soulevé de terre chargés assez lourds (à partir de la 4ème semaine) et effectivement les gens s’amélioraient. L’étude ne dit pas ce qu’il est advenu de leurs hernies qui pouvaient être pareilles, pires ou mieux.

Les opinions sur la hernie discale ne se valent pas

Comment choisir qui a raison ? Celui qui a le plus d’abonnés ? Outre que le fait que ce critère semble peu pertinent, l’histoire s’est déroulé sur instagram où Hemtonkiné a plus d’abonnés que Jamcore, mais si on comptabilise YouTube c’est Jamcore qui en a le plus. Alors on compte le nombre de personnes en faveur ? Si on fait ça, on n’est pas sorti du sable.

On ne devrait même pas se poser la question. On ne peut pas mettre les opinions sur un pied d’égalité et ça je vous l’explique par 3 éléments que vous pourrez appliquer dans de futures discussions.

Je vais symboliser ça par des curseurs plutôt qu’en attribuant des points parce que ce n’est pas noir et blanc, la balance penche plus d’un côté que de l’autre mais rien n’est jamais sûr.

À gauche quand je penche vers l’interdiction stricte du squat en présence de hernie discale, à droite vers la possibilité de réaliser dans certains cas des squats.

Qui est compétent pour s’exprimer ?

Demandez moi quel est le meilleur médicament pour diminuer la tension artérielle, je ne pourrais que vous répondre de demander à votre médecin. En tant que kiné j’ai des notions plutôt bonnes sur le sujet, mais il y a beaucoup trop de choses que je ne sais pas pour pouvoir vous aider au mieux.

Et ça c’est un problème énorme. Sortir de mon champ de compétences, fait qu’il y a même des choses que j’ignore ne pas savoir. Non seulement je ne les sais pas, mais en plus je ne suis même pas au courant qu’elles existent.

La hernie discale, ce n’est pas un sujet que tout le monde maîtrise. Pour beaucoup c’est synonyme de problème mais en réalité c’est juste un signe d’imagerie extrêmement fréquent même chez ceux qui vont bien : 1/3 des plus de 20 ans en ont une​2​. Et vraiment, il y a un nombre fou de connaissances contre-intuitives dessus que je ne pourrai pas vous lister. Je vous ai sélectionné les 4 infos essentielles ici :

Une des manières imparfaites de s’assurer des compétences, c’est de regarder les diplômes. Ici un body-builder retraité qui est devenu coach. Aucune idée de s’il y a besoin d’un diplôme pour l’être dans son pays d’exercice. En face, des kinés et ostéos français. En sachant qu’en plus le code de déontologie du kinésithérapeute lui impose de ne diffuser que des informations vérifiées.

Je laisse quand même une petite marge, parce qu’un coach sportif a quand même un peu de compétences sur les conseils d’entraînement (mais les kinés également).

Quelle était la méthode employée ?

Les diplômes ça ne protège pas parfaitement. Un confiseur peut avoir plus raison que moi sur la hernie discale. Mais comment s’y sont pris les différents protagonistes pour appuyer leurs infos ? Impossible de distinguer Hemtonkiné et le body-builder par cette stratégie. Ils n’apportent aucune référence pour vérifier leurs propos et on doit les croire sur parole. Même quand on regarde les autres publications de leur compte c’est toujours pareil. Donc pour ça balle au centre.

Mais chroniques de la douleur apporte des références scientifiques qui sont autour du sujet choisi. Cela donne un cadre rassurant, mais aucune référence n’appuie directement le propos. On voit quand même une différence dans la démarche par rapport à celui qui prône l’expérience et la logique.

Pour rappel, les études c’est de l’expérience, mais de manière rigoureuse ! C’est pour ça que j’ai rajouté l’étude de Welch en 2015 où on a directement testé l’affirmation mais sur une courte période (4 mois). Donc voilà comment je placerais le curseur de méthode :

Quelle est l’affirmation la plus extraordinaire ?

Si je vous dis que de mettre les doigts dans une prise de courant ce n’est pas une bonne idée, j’espère que vous ne le ferez pas même si je n’ai ni diplôme, ni d’études pour l’attester. C’est parce que c’est cohérent avec le sens commun. Et il est vrai qu’au cours des dernières années on a eu tendance à avoir un discours assez catastrophiste sur ce qu’on avait le droit de faire avec son dos. Encore aujourd’hui dans les entreprises et dans les salles de sport on explique qu’arrondir le dos c’est dangereux et il est impossible d’éviter la flexion en squat.

Toutefois les choses changent depuis une quinzaine d’années parce que les conseils gestes et postures ne semblent pas fonctionner​3​. Mais surtout qu’est-ce qui vous semble le plus probable :

  • Qu’il faille TOUJOURS éviter le squat quand on a une hernie discale ?
  • Qu’il faille éviter le squat seulement dans quelques cas de figure ?

Il est rare que quelque chose soit vrai dans 100% des cas, même si je vous dis que de tomber d’un avion d’une hauteur de 10 000 m ça tue, même là je ne peux pas affirmer que c’est vrai systématiquement.

Donc voilà comment je placerais le curseur :

Conclusion : on peut probablement faire des squats chargés même avec une hernie discale

La hernie discale c’est un sujet compliqué. N’écoutez pas tout le monde qui se prononce dessus et soyez prudents concernant les personnes qui veulent se servir de la peur pour vous vendre leur expertise. Certes il y aura des cas de figure où ce sera une mauvaise idée de charger, mais on ne peut pas en faire une généralité.

Bravo d’avoir lu jusque là, vous êtes une grosse tête. Vous avez le droit d’avoir une opinion différente de la mienne : les commentaires sont ouverts pour ça. Toutefois si vous n’avez ni la méthode, ni les compétences, peut-être vaudrait-il mieux ne pas faire d’affirmation extraordinaire.

Paix et squats à tous !

  1. 1.
    Welch N, Moran K, Antony J, et al. The effects of a free-weight-based resistance training intervention on pain, squat biomechanics and MRI-defined lumbar fat infiltration and functional cross-sectional area in those with chronic low back. BMJ Open Sport & Exercise Medicine. Published online November 9, 2015:e000050-e000050. doi:10.1136/bmjsem-2015-000050
  2. 2.
    Brinjikji W, Luetmer PH, Comstock B, et al. Systematic Literature Review of Imaging Features of Spinal Degeneration in Asymptomatic Populations. AJNR Am J Neuroradiol. Published online November 27, 2014:811-816. doi:10.3174/ajnr.a4173
  3. 3.
    Rodrigues Ferreira Faisting AL, de Oliveira Sato T. Effectiveness of ergonomic training to reduce physical demands and musculoskeletal symptoms – An overview of systematic reviews. International Journal of Industrial Ergonomics. Published online November 2019:102845. doi:10.1016/j.ergon.2019.102845

Une réponse à “Squat avec une hernie discale : toutes les opinions ne se valent pas”

  1. Avatar de Ricard
    Ricard

    Bravo 😄

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