C’est une question à laquelle un groupe de chercheur à voulu répondre dans une étude de avril 2024 sur les douleurs musculo-squelettiques1. Dans cette revue systématique, Ezzatvar et coll ont compilé les essais cliniques qui évaluaient les traitements kinésithérapiques par rapport à un placebo.
Les critères étaient stricts. Ils ont exclu tout ce qui incluait des conseils nutritionnels, de la kiné enrichie par de la psychologie, ou même des combinaisons de différentes techniques kiné. On va en discuter mais voilà ce qu’ils ont trouvé en combinant 54 études qui évaluaient l’intensité de la douleur :
En bleu la taille d’effet attribuable aux « effets contextuels ». En bordeaux, la taille d’effet attribuable spécifiquement au traitement.
Qu’est-ce qui était entendu par « douleurs musculo-squelettiques » ? Le gros des études était constitué de patients ayant des lombalgies chroniques, des cervicalgies chroniques, des syndromes de « douleurs myofasciales », de l’arthrose de genou et de hanche, des troubles de l’articulation temporo-mandibulaire et des douleurs d’épaules.
C’était vraiment du placebo ?
En réalité, des critiques émergent sur le fait que le terme d’effet contextuel dans cette étude n’était pas adapté. Je vous explique en m’appuyant sur ce graphique adapté du papier de Saueressig2 :
Pour résumer, on peut découper les effets de chaque traitement en 3 grandes parties : Les effets non spécifiques, l’effet placebo (ou effets contextuels) et les effets spécifiques liés au traitement.
La critique qui est alors faite c’est que, normalement pour évaluer l’effet placebo (en bleu), il faut prendre un traitement factice et le comparer à une absence de traitement. Dans le cas contraire, on mesure aussi les effets non spécifiques (en vert) et on n’a plus l’effet placebo mais ce qu’on appelle LA RÉPONSE PLACEBO3. Attention la réponse placebo et l’effet placebo sont deux termes différents.
Cela a été séparé pour la lombalgie chronique dans une autre revue systématique récente4 et les résultats généraux donnaient seulement 18% des effets étaient liés à l’effet placebo/aux effets contextuels, tandis que 49% étaient liés aux effets non spécifique. (Attention je n’ai pas eu accès au texte complet)
Cette critique en fin de compte concerne essentiellement le vocabulaire, mais c’est peut-être important de se rendre compte que le placebo, c’est pas si ouf et que la grande partie des effets viennent des variations propres à la personne comme la guérison naturelle.
En étant un peu plus concret
Par exemple si l’on prend une manipulation spinale pour la lombalgie chronique, c’est à dire une mobilisation du rachis rapide à faible amplitude, voilà ce qu’on peut éventuellement trouver :
Écrit comme ça, les différences semblent évidentes. Mais si l’on parle des mécanismes physiologiques par lesquelles les attentes diminuent la douleur, vous verrez qu’une bonne partie de ceux-ci agit par la diminution de la quantité de nociception qui arrive au cerveau (exemple : libération d’opioïdes endogènes et diminution de cholécystokinine5) ce qui rend les distinctions beaucoup moins limpides.
En reprenant le schéma en gardant juste les effets immédiats vu que nous avons beaucoup de données sur le sujet, est-ce que vous remarquez un élément ?
Vraiment ? Vous ne remarquez pas quelque chose d’intéressant sur les « effets contextuels » évalués ?
Mais oui excellent ! Ils ont tous une taille d’effet différente. Et ça permet d’expliquer un des points qui peut chagriner : nous essayons de comparer ici des choses très différentes car très variables.
Que conclure sur les comparaisons avec le placebo ?
La taille d’effet ici, c’est le g de Hedges. C’est une mesure statistique qui s’obtient en divisant l’écart entre les moyennes par l’écart-type moyen pondéré.
Pas forcément besoin d’aller très loin dans les définitions. Rappelez-vous juste que la taille d’effet dépend de à quel point le traitement diminuait l’intensité de la douleur et d’à quel point nous sommes sûrs des chiffres (plus il y aura une grande variabilité de résultats dans le groupe, plus l’écart-type sera grand).
La taille d’effet n’a pas d’unité. Il ne faut pas se tromper en disant que le Dry Needling qui avait une taille d’effet de à peu près 1,9 améliore la douleur de 1,9 point sur l’EVA. Ce n’est pas ce que ça veut dire.
La variabilité de la taille d’effet
Le fait que la taille d’effet de la réponse placebo (qu’ils ont appelé effets contextuels dans cette étude) est variable peut s’expliquer de plusieurs manières :
- Il y avait différentes pathologies et différentes populations et donc différentes variations naturelles (effets non spécifiques). Il est peut-être plus fréquent de voir une population de personnes avec une lombalgie non spécifique et des douleurs à 9/10 avoir de grosses améliorations qu’une population de personnes avec de l’arthrose de genou et des douleurs de genou à 2/10.
- Les placebos étaient différents ! Certains placebos étaient constitués de toucher léger, d’autres d’ultrasons éteints. Il y en a même qui étaient des exercices à distance (comme si ça n’avait pas d’effet spécifique).
- C’est juste normal d’avoir des variations statistiques avec si peu d’études par traitement, comme en témoignent les intervalles de confiance. Par exemple prenons l’intervalle de confiance à 95% du groupe placebo des études sur les mobilisations. Celui-ci s’étendait de 0,54 à 1,19. C’est à dire que si on relance les expérimentations 100 fois, les résultats trouveront des chiffres compris entre ces deux bornes dans 95% des cas ! C’est énorme comme différences !
Quelle importance de la différence du placebo ?
En fait c’est crucial ! Imaginez que vous vouliez évaluer l’efficacité d’une thérapie mais que vous mettiez un placebo en face qui ne soit pas aussi convaincant que le traitement… On ne pourra alors pas évaluer l’efficacité spécifique de celui-ci. C’est pour ça qu’il est super important d’avoir des placebos différents pour qu’ils correspondent bien aux traitements.
Le problème c’est que parfois le placebo n’est pas adapté à la thérapie évaluée. Par exemple, une revue systématique de 20186 trouvait peu d’études sur le Dry Needling avec des placebo adéquats. Et tandis que les effets étaient satisfaisants lorsque le placebo était inadéquat, ils devenaient inexistants quand comparés à des placebo bien choisis.
Et ça, malheureusement, ça n’a pas été évalué dans la revue de Ezzatvar dont nous discutons depuis le début.
Que retenir de tout ça ?
Ça semble un peu vain de retenir les pourcentages au vu des intervalles de confiance. D’autant plus que comparer une mobilisation à des ultrasons éteints pourra sous-estimer ou surestimer la force des effets contextuels. Par exemple, certains patients auront des attentes plus fortes pour une machine et d’autres pour les mains.
Clairement il ne faut pas non plus vouloir s’amuser à comparer les traitements entre eux avec ce genre de chiffres vu que les groupes placebo étaient différents. En fait, pour les comparaisons indirectes il existe des outils : les méta-analyses en réseau. En réalité, ces outils ne sont pas super performants dans ces situations non plus vu qu’ils dépendent aussi du placebo utilisé qui fait office de comparateur commun.
Bref, si vous voulez retenir une chose, retenez peut-être que la réponse placebo semble constituer le gros des effets de nos traitements. Mais peut-être que ça, vous le saviez déjà. Aussi, il se pourrait même que la réponse placebo prenne la part intégrale de certains traitements.
Sachez bien que je suis désolé de cette conclusion anti-climactique, mais qui dit chiffres peu concluants, dit conclusions modérées.
Liste des références
- 1.Ezzatvar Y, Dueñas L, Balasch-Bernat M, Lluch-Girbés E, Rossettini G. Which portion of physiotherapy treatments’ effect is attributable to contextual effects in people with musculoskeletal pain?: A meta-analysis of randomised placebo-controlled trials. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy. Published online April 11, 2024:1-28. doi:10.2519/jospt.2024.12126
- 2.Saueressig T, Pedder H, Owen PJ, Belavy DL. Contextual effects: how to, and how not to, quantify them. BMC Med Res Methodol. Published online February 13, 2024. doi:10.1186/s12874-024-02152-2
- 3.Evers AWM, Colloca L, Blease C, et al. Implications of Placebo and Nocebo Effects for Clinical Practice: Expert Consensus. Psychother Psychosom. Published online 2018:204-210. doi:10.1159/000490354
- 4.Pedersen JR, Strijkers R, Gerger H, Koes B, Chiarotto A. Clinical improvements due to specific effects and placebo effects in conservative interventions and changes observed with no treatment in randomized controlled trials of patients with chronic nonspecific low back pain: a systematic review and meta-analysis. PAIN. Published online January 10, 2024. doi:10.1097/j.pain.0000000000003151
- 5.BENEDETTI F. THE NEUROBIOLOGY OF PLACEBO ANALGESIA: FROM ENDOGENOUS OPIOIDS TO CHOLECYSTOKININ. Progress in Neurobiology. Published online June 1997:109-125. doi:10.1016/s0301-0082(97)00006-3
- 6.Braithwaite FA, Walters JL, Li LSK, Moseley GL, Williams MT, McEvoy MP. Effectiveness and adequacy of blinding in the moderation of pain outcomes: Systematic review and meta-analyses of dry needling trials. PeerJ. Published online July 31, 2018:e5318. doi:10.7717/peerj.5318
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