Le modèle BioPsychoSocial est devenu célèbre grâce à une lettre de 19771. Il commence à être de plus en plus suivi et c’est vraisemblablement une bonne chose. Certains préjugés ont par contre la vie dure et de certaines mauvaises compréhensions découlent parfois un rejet du modèle BPS au détriment des patients. On a pu voir le cas, par exemple sur le site d’une clinique qui faisait de la thérapie par cellules souches2. En discutant fréquemment avec quelques autres professionnels de santé, je me suis rendu compte qu’il y avait encore de nombreuses autres idées sans fondement à ce sujet. En voici 5 dont on m’a récemment fait part.
Idée reçue n°1. Le modèle BioPsychoSocial est important pour traiter les douleurs chroniques
Évidemment, ce n’est pas faux de dire ça. Ce qui est faux c’est de penser que cela concerne uniquement les douleurs persistantes. Imaginez, un accident de voiture a lieu entre deux personnes. Fait rarissime les deux personnes ont exactement la même fracture à la jambe. Est-ce que les deux personnes expérimenteront la même douleur ? Maintenant imaginez que deux urgentistes arrivent, chacun va voir une des deux personnes, le premier regarde la jambe de manière blême et dit « Oh la vache, c’est affreux, j’ai rarement vu des fractures aussi horribles ». Le deuxième rassure l’autre automobiliste « Rassurez-vous, je vais m’occuper de vous. Tout va bien se passer, j’ai l’habitude. ». À votre avis lequel des deux a le plus de chance d’avoir le plus mal ?
Le modèle BPS permet également d’améliorer les soins et la compréhension des problèmes aigus par rapport au modèle biomédical. Pour ce faire, il inclut les sciences de la douleur en général, pas seulement les neurosciences de la douleur persistante/chronique.
Idée reçue n°2. La nociception n’est pas importante
La nociception n’est ni nécessaire ni suffisante pour déclencher de la douleur, on le sait depuis un moment. L’expérience de Bayer en 19913 en est un exemple marquant. Dans cette étude, ils ont réussi à induire de la douleur chez 43 personnes sur 100 en leur faisant croire qu’ils leur passaient un stimulus électrique dans la tête. Mais que se serait-il passé s’ils avaient réellement fait passer un stimulus électrique ? Je suis prêt à parier que la nociception engendrée aurait permis de créer de la douleur chez plus de 90 patients.
On peut voir la nociception comme un joueur de football vraiment super doué. Sa présence ne garantie pas qu’il y aura un but (de la douleur) si le reste de l’équipe n’est pas au niveau (faible présences de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux), qu’ils ne jouent pas bien ensemble ou que l’équipe adverse est encore plus forte (forte résilience, présence de facteurs protecteurs). Son absence n’empêchera pas l’équipe de mettre un but, surtout si l’équipe adverse est nulle. Mais, on aura beaucoup plus de chance de mettre un but en sa présence qu’en son absence.
Idée reçue n°3. La douleur persistante vient de problèmes dans les systèmes de régulation de la douleur
Ça arrive peut-être, mais ce n’est certainement pas systématique. Le cas présenté par Alan Taylor4 devrait nous faire méditer sur le sujet. Un homme qui a conservé des douleurs pendant 34 ans parce qu’on essayait tous de le faire tenir dans une boîte correspondant à notre théorie (biais de confirmation) plutôt que d’essayer de comprendre ce qu’il avait vraiment.
Idée reçue n°4. Le modèle BioPsychoSocial oblige à abandonner le hands-on (thérapie avec les mains)
Évidemment, les thérapeutiques hands-off (sans traitement manuel) comme l’éducation et l’exercice thérapeutique voire même l’éducation à l’exercice5 ont une place privilégiée dans la prise en charge avec un modèle BioPsychoSocial. Elles permettraient, théoriquement, de promouvoir l’auto-efficacité, de diminuer la kinésiophobie, le catastrophisme et tout un tas de notion liées à la persistance des douleurs et l’incapacité.
Pour autant, rien que l’apposition des mains avec empathie présente des effets intéressants6. Ajouter les attentes de guérison du patient pour l’effet analgésique direct7, des tractions sur les tissus et leurs fibroblastes pour leur potentiel effet anti-inflammatoire8, un son de craquement audible pour son effet psychologique9, des tractions cutanées stimulant les corpuscules de Ruffini pour l’action inhibitrice métamérique de la nociception10 et on obtient un potentiellement bon cocktail pour le traitement des douleurs.
Mais les bénéfices potentiels impliquent également des risques. Les croyances associées à ces thérapies risquent d’induire une dépendance au thérapeute ou des mauvaises adaptations à la douleur comme limiter le mouvement tant qu’on ne n’a pas vu de thérapeute manuel. Ceci peut arriver même en présence d’une explication bien conduite (les croyances surpassent souvent les faits) ou même d’une éducation bien menée.
Une bonne idée reste alors de limiter ces interventions hands-on sans s’en priver.
Idée reçue n°5. Expliquer les neurosciences de la douleur est suffisant pour faire un traitement BioPsychoSocial
Il semblerait que sans approche éducative, les explications des connaissances sur la douleur ne parviennent pas à changer les attitudes et croyances des étudiants en kinésithérapie11. Il semble donc difficile de penser que juste expliquer aux patients la douleur produira des changements significatifs dans leurs comportements et compréhension.
Le problème vient aussi du reste du traitement, si on explique à un patient que la douleur n’est pas qu’un phénomène physique mais que l’intégralité de l’intervention est faite dans le but d’augmenter sa mobilité articulaire, on reste dans une approche biomédicale de la douleur.
Il est important également de différencier, neurosciences de la douleur et biopsychosocial. Certes les neurosciences donnent une explication biologique de comment les facteurs psychologiques et sociaux peuvent jouer sur la douleur. Toutefois, le lien se limite là. Le modèle biopsychosocial, c’est une compréhension que la maladie s’inscrit dans les 3 dimensions, pas de parler de neurones.
- 1.Engel GL. The Need for a New Medical Model: A Challenge for Biomedicine. Science. Published online April 8, 1977:129-136. doi:10.1126/science.847460
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- 3.Bayer T, Baer P, Early C. Situational and psychophysiological factors in psychologically induced pain. Pain. 1991;44(1):45-50. doi:10.1016/0304-3959(91)90145-N
- 4.Taylor AJ, Kerry R. When Chronic Pain Is Not “Chronic Pain”: Lessons From 3 Decades of Pain. J Orthop Sports Phys Ther. Published online August 2017:515-517. doi:10.2519/jospt.2017.0606
- 5.Jones MD, Valenzuela T, Booth J, Taylor JL, Barry BK. Explicit Education About Exercise-Induced Hypoalgesia Influences Pain Responses to Acute Exercise in Healthy Adults: A Randomized Controlled Trial. The Journal of Pain. Published online November 2017:1409-1416. doi:10.1016/j.jpain.2017.07.006
- 6.Cerritelli F, Chiacchiaretta P, Gambi F, Ferretti A. Effect of Continuous Touch on Brain Functional Connectivity Is Modified by the Operator’s Tactile Attention. Front Hum Neurosci. Published online July 20, 2017. doi:10.3389/fnhum.2017.00368
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- 9.Demoulin C, Baeri D, Toussaint G, et al. Beliefs in the population about cracking sounds produced during spinal manipulation. Joint Bone Spine. Published online March 2018:239-242. doi:10.1016/j.jbspin.2017.04.006
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- 11.Colleary G, O’Sullivan K, Griffin D, Ryan C, Martin D. Effect of pain neurophysiology education on physiotherapy students’ understanding of chronic pain, clinical recommendations and attitudes towards people with chronic pain: a randomised controlled trial. Physiotherapy. 2017;103(4):423-429. doi:10.1016/j.physio.2017.01.006
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